Vu et entendu par Raymond Ménard

Raymond Ménard
Ici est confié le soin de dire à Raymond Ménard, journaliste émérite des régions du Centre et de Normandie, dont le coup de plume est si apprécié que cette rubrique lui est offerte en partage depuis deux ans, certes, mais surtout en pleine et entière liberté. Quels que soient ses avis, ses humeurs, ses appréciations ou critiques, bien évidemment.
 

Lundi 25 Août
Ombres et lumières
Le rideau est tombé sur le cinquième épisode du festival franco-québécois de Verneuil-sur-Avre, apportant à cette ville et à sa région animation, richesse, originalité et amitié.
Avant de se dire au revoir et de rêver au prochain festival, il est logique d’adresser une fois encore les remerciements de tous les Vernoliens respectueux de leur cité aux responsables de la Vache et du Caribou, sans distinction.
Colette Lhommet et Patricia Crignon, souvent dans l'ombre, sont ici au soleil pour tenir le stand Adbstar à la brocante du 15 août.
Tous les artisans de ce rendez-vous recherché, regroupés au sein d’Adbstar et autour de la famille Perucca, Fabien, Marie et leurs enfants. Tous les artistes, à commencer par Lisette Tardy, peintre-poète au si sensible talent et au cœur généreux, Hugues Cloutier, enthousiaste pianiste, Danielle Fournier, Marie Bélisle et Jean-Philippe Gagnon, poètes aux images et aux phrases délicates, les figures emblématiques du Jazz Club de France unies dans le souvenir de Raymond Fonsèque, Simon Goldin et Régis Nesti débordants de bonne humeur, l’immense Claud Michaud et ses deux musiciens, François Rousseau et Guillaume Bouchard, avec leur Brassens-scopie, le sympathique trio Au Bout d’la rue, l’ineffable chanteur-humoriste Gérard Morel, le quatuor Latché Swing et l’incomparable Hélène Maurice, qui n’a pas sa pareille pour offrir son élégance terrienne avec ses magnifiques textes arrachés aux feuilles du temps.
Un grand merci aussi à ceux qui, n’ayant pas la mémoire courte, se sont souvenus des sacrifices consentis par de lointains et jeunes aviateurs venus de leur Canada et de leur Amérique pour que nous puissions nous libérer de l’emprise allemande.
René et éliane Dupuis ont accueilli tous leurs collègues dans leur Paradis.
Mille mercis à ceux qui ont ouvert leurs portes et servi la table pour héberger et accueillir tous les participants : éliane et René Dupuis dans leur Paradis, Michèle et Jean-Pierre Thouin dans leur Petit-Versailles, élisabeth et Francis Clatigny qui ne mesurent ni les lettres ni les chiffres de cette belle aventure, Jacqueline et Charles Khérian qui offrent temps et espace pour accueillir les amis, Catherine et Thierry Delporte qui n’hésitent jamais à relier Tillières au chef-lieu de canton pour apporter leur temps, leur aide et leurs talents divers sans oublier leur générosité, Anne Belzeaux et sa maman qui, elles aussi, font preuve d’une grande et belle hospitalité, Nicole Boucher et sa sœur élisabeth qui ne freinent jamais leur enthousiasme, Françoise Ayrault, Michel Bourre, Yvonne Coinon et Bernard Sauques, Patricia Crignon, Colette Lhommet, Patrick Lecouturier, Aimée Pezot, Cécile Sieveking, Françoise et Pierre Durand, ainsi que tous ceux et celles qui œuvrent dans l’ombre et dont les noms n’ont pas été cités. Et qui nous pardonneront de ne pas avoir éclairé leurs actions, notre sympathie leur étant acquise.
Et puis, il y a ceux qui apportent leur talent ou leur contribution et dont les noms s’effacent avec le temps qui passe, tel Didier Ray. Didier Ray, c’est l’auteur du dessin du programme. Il a succédé à Moloch, bien connu des Vernoliens. Ce week-end, ce dessinateur coloriste, collaborateur de Marcel Uderzo, qui était au Salon du Livre d’évreux l’an dernier, sera présent à Conches pour le festival de la BD.
Le dessinateur-coloriste Didier Ray.
Merci donc infiniment à tous ces artistes et artisans pour leur participation à ce rendez-vous culturel et merci aussi aux élus représentants des différents conseils régional, général, municipal, aux services techniques ainsi quaux responsables et au personnel de la Maison des Jeunes et du Silo. Une telle volonté d’union permet de grandes choses et c’est avec confiance et assurance qu’en vallée d’Avre on attend la suite l’an prochain.


Dimanche 24 août
Coïncidences
À l’issue de l’ultime spectacle présenté, samedi soir, au Silo, par Hélène Maurice et ses deux musiciens d’exception que sont Francis Jauvain et Tony Baker, des amis, qui les assistaient, invitaient à découvrir sur une table voisine les créations des artistes : CD, DVD, ainsi que les annonces de manifestations sœurs du festival La Vache et le Caribou, qui auront lieu à l’automne prochain. Parmi ces rendez-vous, se trouvait en bonne place celui de Mûrs-Erigné qui se tiendra les 17, 18 et 19 octobre de cette année, au Centre culturel Jean-Carmet, avec tout un groupe d’artistes connus et reconnus pour leur défense des beaux textes et des choses de la vie contées avec poésie, humour, engagement et même révolte : les amis Bernard Joyet et Nathalie Miravette figurent sur cette liste. Un hommage particulier sera même rendu à Allain Leprest, disparu il y a trois ans déjà, et dont Hélène Maurice évoqua le soir même les jolies chansons, dont celle intitulée Le Sculpteur et le cerisier.
Jacques Bertin vu par Raymond Ménard.
Près des CD, des DVD et de la présentation publicitaire du duo Jauvain-Baker, étaient proposées plusieurs œuvres de Jacques Bertin dont la biographie que cet étonnant chanteur-auteur avait consacrée à l’une de ses idoles préférées, Félix Leclerc, le roi heureux, en 1987. Autre ouvrage exposé : Le Dépanneur (le Québec de A à Z), paru aux éditions Sylvain Harvey.
Coïncidence, le matin même, Michel Van Hamme, peintre-poète-éditeur, bien connu dans notre région pour y avoir vécu de nombreuses années, à Breteuil-sur-Iton, Saint-Ouen-d’Attez, Lamblore, et domicilié aujourd’hui à Pont-Saint-Esprit, dans le Gard, ami de Bernard Joyet, a présenté son florilège de Poésie 2014 rendant hommage au grand Jacques Bertin, fondateur du prix Jacques Douai et grand ami du Québec. La boucle fut ainsi bouclée dans une atmosphère riche et pleine de promesses.
Bernard Joyet, à gauche, avait rencontré Michel Van Hamme à Saint-Ouen-d'Attez en 2006.


Samedi 23 août
Deux grandes prêtresses de la chanson
La soirée de samedi fut marquée par deux étonnantes artistes féminines qui, chacune dans son registre, révélèrent, au Silo, leur très grande sensibilité et leur solide talent. Toutes de noir vêtues, elles imposèrent leur regard sur la vie et leurs voix, pour emmener le spectateur-auditeur sur des itinéraires bien personnels.
Quatre passionnés au service du rythme.
Hélène Massuard tout d’abord, soutenue par Nicolas Beucher à la contrebasse, Rémi Pacault, guitare et banjo, et François Gibaux, également à la guitare, trois musiciens élevés dans la mouvance du jazz dont Django Reinhardt s’était fait le serviteur en compagnie des fidèles Eddie South ou Stéphane Grappelli, dompta la salle de sa voix et de sa silhouette qui ondulèrent au rythme des cordes pincées. Dans son costume sombre, elle ressemblait à une fleur à corolle blanche, poussée au bord du chemin avec ses cheveux bruns ornés de deux pétales blancs. Elle a distillé cette musique avec élégance, révélant des regards et des sons sensibles échappés de lieux de vie : envoûtant groupe rouennais, Jazz Latché Swing !

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 L’élégance terrienne d’Hélène Maurice
Autre Hélène, autre style. Hélène Maurice pour la troisième fois revenait sur les bords de l’Avre, avec un nouveau programme, et l’incomparable emprise qu’elle a sur le public.
Hélène Maurice toute rayonnante a captivé le public.
Elle aussi de noir vêtue, chasuble style robe de bure sur laquelle sa chevelure blonde pleure en cascades, le sourire protecteur et maternel, elle prend l’auditeur-spectateur par le cœur et le conduit sur un itinéraire parsemé de chansons à textes qui ennoblissent l’être pour le mener avec charme, douceur, nostalgie et virtuosité vers des hauteurs qui rendent meilleur.
Elle a fait renaître Gaston Couté, poète et chanteur beauceron né en 1880, disparu trente et un ans plus tard, non sans avoir laissé à la postérité des textes pleins de vie tels Le Champ de naviots ou Les Bohémiens, ou encore La Françoise, si bien interprétée samedi soir. Elle eut un clin d’œil pour le regretté Allain Leprest, avec Le Sculpteur et le cerisier, œuvre qui évoque son souvenir à Saint-Pierre-des-Corps, et Hélène, qui s’est fait un nom avec deux prénoms, a chanté la vie, ses joies, ses peines, et les difficultés exigeantes pour la gagner. Ou tout simplement pour la vivre.
Francis Jauvain à l'accordina (photo Jean-Pierre Thouin).
Tony Baker au clavier (photo Jean-Pierre Thouin).
Assistée d’un duo de musiciens hors de pair, Francis Jauvain au saxophone, à l’accordéon ou à l’accordina, et Tony Baker, pianiste anglais exceptionnel, qui ont déjà uni leurs talents depuis 2009 pour redonner vie aux Gymnopédies d’Erik Satie ou aux airs musettes de Jo Privat, Hélène Maurice a su, une fois de plus, captiver le public avec son éloquent talent dans les pas du Félix Leclerc de son enfance à Montréal où elle a vu le jour. Et une fois encore, elle a permis au festival La Vache et le Caribou de se terminer par un feu d’artifice éclatant dans la joie et l’amitié.

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Puissance du désir : talent et générosité
Le cinquième festival franco-québécois de la Vache et du Caribou avait démarré, au début de ce mois, par le coup d’envoi de l’exposition de peinture de Lisette Tardy, intitulée La Puissance du désir. Il s’est éteint, dimanche soir, par la clôture de cette exposition particulièrement suivie et commentée.
Plus de mille cent admirateurs ont franchi la porte de l’Espace Saint-Laurent pour découvrir le talent et la sincérité de cette poétesse de la peinture qu’est Lisette Tardy. Et parmi ceux qui ont laissé sur le livre d’or une trace de leur passage, Philippe Caroit, comédien-acteur venu en voisin de Cintray, Jean-Paul Sévilla, pianiste international et musicologue distingué qui fut à l’origine de la rencontre entre Hugues Cloutier et Lisette Tardy, tous deux acteurs québécois du concert d’ouverture de ce festival.
D’autres visiteurs accourus de très loin, Japon, Chine, Europe centrale, Grande-Bretagne mais aussi de pays du Proche-Orient et de la vallée d’Avre, ont salué le talent attachant et énergique de cette artiste sachant capter, avec tant de sensibilité et de lumière, lénergie emmagasinée au fond de chacun d’entre nous.
L'artiste Lisette Tardy et le maire Yves-Marie Rivemale entourés de Nicole Boucher, à gauche, et Fabien Perucca (photo J.P. Thouin).

Au terme de cette très belle et très suivie manifestation, Lisette Tardy avait invité, ce jour, les représentants de la municipalité, afin de leur remettre, en cadeau de reconnaissance destiné à la ville, l’une de ses œuvres.
Le maire Yves-Marie Rivemale, entouré des élus Annie Depresle, Françoise Ayrault et Patrick Bieber, adjoints, Nicole Boucher et Alain Andrès, conseillers délégués, tint, après avoir remercié l’artiste de son cœur généreux, à la féliciter pour son talent reconnu, apprécié et plébiscité :
 – Au nom de la population, je vous remercie pour votre générosité, votre vitalité et votre énergie exemplaires, déclara le maire, associant à ses remerciements toute la troupe d’Adbstar, en commençant par son président Fabien Perucca et son étonnante équipe.
émue et ravie, Lisette Tardy évoqua le chaleureux accueil qu’elle avait toujours reçu à Verneuil, le plaisir partagé qu’elle avait récolté dans ce pays d’Avre, et souligna l’importance de cette puissance du désir qui permet à l’homme de toujours vaincre les tempêtes. Elle fut heureuse du choix du tableau qui, guidé par Nicole Boucher, déléguée à la vie associative, n’aura que la rue Notre-Dame à traverser pour de l’Espace Saint-Laurent rejoindre la grande salle de la résidence Maurice-Juillet où il trônera désormais.
L'œuvre offerte : La Tempête (photo J.P. Thouin).
Ce tableau intitulé justement La Tempête illustre parfaitement l’éternel combat que l’homme doit mener pour lutter et tracer ses pas avec volonté sur le chemin de la vie.
L’artiste souligna la grande volonté de l’actuelle équipe municipale qui a repris la marche en avant pour redonner à l’aspect culturel sa véritable place dans la vie quotidienne de chacun sur cet ourlet vert d’une terre si attachante.
La toile, le maire et l'artiste en compagnie de plusieurs membres d'Adbstar.
  


 Vendredi 22 Août
Rendez-vous « Au bout d’la rue »
Sans prétention aucune, si ce n’est celle de répandre la bonne humeur, trois gaillards armés de leurs instruments ont investi, vendredi en toute fin d’après-midi, la scène du Silo. Ces trois musiciens attendaient leur public au bout d’la rue. Trois musiciens caennais experts en simplicité, originalité et virtuosité.

Au centre, le créateur du groupe, Gary Grandin, au chant et à la guitare, donne le tempo. À sa gauche, son alter ego Michael Patry sautant des cordes de la guitare à celles du banjo, et à sa droite, Hugues Letort, le contrebassiste qui avait fait tandem avec lui en 2012 au sein du quatuor Muz’nouch, lequel avait déjà enchanté le Silo avec ses textes et ses musiques remarquables.
Ces ambassadeurs de la joie et des rires avec leurs héros récupérés dans la ménagerie du coin : moutons qui restent bouche bééée, chien ouah-ouah, chat Sylvestre, voire même cochon péteur dont la salle a repris le refrain sans honte et grand-père en perdition ont su chauffer l’auditoire avant de céder la place à Gérard Morel.

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 Patchwork humoristique de la poésie
Gérard Morel, c’était la vedette attendue. Dans la salle le public, où l’on reconnaissait ses amis de la scène, Bernard Joyet venu en voisin de Francheville, Hélène Maurice, fidèle au festival, qui lui succédait le lendemain, et les élus du secteur qui ne pouvaient rater l’événement, Yves-Marie Rivemale, maire, Alain Petitbon, président de la Communauté de communes et Louis Petiet, conseiller général, qui avait enfin réussi à se libérer de ses contraintes, étaient là pour applaudir.
Visage lunaire ouvert en permanence sur la bonté intransigeante, regard qui caresse avec malice chaque spectateur pour le transformer en complice convaincu, bretelle longue portée sur des chausses grises prolongeant la chemise rouge assortie aux chaussures, Gérard Morel prend position d’entrée pour présenter son univers.

Ce bûcheron de la phrase découpe en syllabes, scie en tranches les préfixes et les suffixes, rabiboche les mots pour ne choisir que les moindres ou les plus gros et les assaisonner de poésie. Ça rime et ça module. Ça se bouscule. Et sans avoir l’air d’y toucher, le chanteur comédien assène une vérité acide. Tel le chat, il avance la mélodie de ses textes avec patte de velours et, dans un dernier couplet, signe d’un coup de griffes la moralité d’un texte anodin qui prend brusquement tout son relief comme dans Y a pu d’saison dans ma pampa.
Parfois la ritournelle prend un air de douce comptine à la saveur de rose, et voilà qu’au temps de la grasse mat’ il pleut des cordes. Toutes sortes de cordes. Et le public se laisse lier par le rythme savoureux, qui prend la forme de la romance amoureuse, avant d’aller se faire pendre ailleurs.
En plein style argentin.
On savoure les mots qui jouent avec nos sentiments mais voilà qu’on se tord de rire avec le tango du lumbago interprété dans la plus pure des traditions argentines. Une rime passe trop près et voici qu’elle est prise au piège. Alors Gérard prend aussitôt congé en remballant ses rimailles et en avouant qu’il lui faut aussi aller voir ailleurs si j’y suis.
Et puis le chanteur, sans abandonner le clin d’œil, devient spécialiste de la chanson d’amour qu’il interprète volontiers sur tous les tons. Sa prestation se rapproche des textes qui s’emballent signés Boby Lapointe ou Pierre Louki, sur des airs que n’aurait pas reniés Georges Brassens.
Et la foule, repue après ce festin de mots, a salué comme il se devait ce grand couturier du patchwork de la phrase cousue avec talent, d’humour et de poésie.

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 Quand l’amitié fait acte de présence
Vendredi soir au Silo, lors du récital de Gérard Morel, l’amitié était au rendez-vous. Le chanteur, après avoir salué son ami Bernard Joyet, n’a pu s’empêcher de l’inviter à monter sur scène pour chanter en chœur une œuvre de Georges Brassens : À l’ombre du cœur de ma mie, le second accompagnant le premier à la guitare. Dans la foulée les deux artistes entonnèrent a capella la Cantique en toque du premier nommé. Il faut dire que les relations entre les deux hommes sont tellement fortes que Bernard Joyet, dans son livre Autodidacte, pastiche avec Les goûts d’Morel la chanson de Gérard Morel Les goûts d’Olga en en gardant l’esprit.
Le sympathique duo Bernard Joyet et Gérard Morel.
L’amitié est un ciment solide quand les artistes oublient des rivalités possibles pour ne fertiliser que la production culturelle. Et vendredi soir, c’est tout le public qui fut conquis.

 
Dimanche 17 août
Xavier Dolan vu par Raymond Ménard (août 2014).

Névrose et violence : l’univers de Xavier Dolan
Dans le cadre du festival de la Vache et du Caribou, les cinéphiles vernoliens ont découvert une trilogie de films réalisée par le jeune prodige du cinéma canadien, Xavier Dolan. Un univers qui ne manque ni d’intérêt, ni de technique remarquablement maîtrisée.
« L’œuvre est sueur ». En se faisant tatouer sur la jambe cette appréciation de Jean Cocteau, et en portant à lécran J’ai tué ma mère, Laurence Anyways et Tom à la ferme d’après la pièce de Michel-Marc Bouchard, Xavier Dolan n’a pas ménagé la sensibilité des spectateurs. Mieux, il leur a fait endosser ses tourments face à la complexité des sentiments qui peuvent être nourris par l’être humain.
L’adolescent face à sa mère alors qu’il cherche encore sa voie sensuelle, la violence de ses propos qui rejette tout dialogue et l’acuité sans pardon de son regard sont les points forts de l’analyse de J’ai tué ma mère.
Avec Laurence Anyways, le jeune homme s’attaque, dans son troisième long métrage, au mal-être de l’individu qui rêve au transgenre. Film long qui prend tout son temps mais qui maintient les difficultés de l’être souhaitant changer de sexe. Servi entre autres par Nathalie Baye, ce film a reçu un accueil plus que favorable de la part de la critique. Au Trianon de Verneuil, le public nombreux a plébiscité cette œuvre qui a recueilli de belles récompenses à Cannes (prix d’interprétation féminine d’un Certain Regard), à Cabourg et à Toronto.
Avec Tom à la ferme, troisième volet de cet univers, Xavier Dolan, dans la jungle difficile des sentiments, décortique avec talent les relations qui peuvent naître après une douloureuse séparation. Les liens toxiques qui naissent alors relèvent plus de la psychanalyse que de l’explication de texte, et si le style du réalisateur demeure extrêmement brillant, ses arguments peuvent présenter des raisonnements peu digestes.
Si l’on en juge par les longues discussions qui ont suivi la projection dimanche soir, Tom, en découvrant le monde rural et les sentiments proches de la terre, a bien bousculé l’affectif de chaque spectateur.


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 émouvant anniversaire
Le dimanche 17 août 1944, cinq jours avant la libération de la ville de Verneuil-sur-Avre, un drame s’était joué au fond du parc Guillaume-le-Conquérant, juste derrière la mairie. L’Allemand en plein désarroi avait fusillé six hommes, cinq résistants et un parachutiste canadien qu’il venait de débusquer dans la cave du marbrier Mahieu, rue de la Tour-Grise.
Au cimetière, devant le carré militaire des Résistants, les nièces d'Hector Sylvestre et les délégations municipales et d'Adbstar se recueillent.
Soixante-dix ans après, jour pour jour, une délégation municipale, accompagnée de plusieurs membres d’Adbstar, s’est inclinée devant la sépulture d’Hector Sylvestre, cinquième d’une famille francophone de dix enfants, abattu par l’occupant au milieu de ses cinq compagnons résistants pris au piège ce 17 août 1944.
Entouré de plusieurs adjoints et conseillers municipaux : Annie Depresle, Frédéric Rey, Michel Grudé, Françoise Ayrault, Nicole Boucher, Christian Perron, le maire Yves-Marie Rivemale fit le récit de la trop courte vie de ce héros, né le 14 septembre 1921 à Sturgeon Falls dans l’Ontario. Traumatisé par la mort accidentelle de son jeune frère, il s’était engagé et fut affecté à la compagnie « A » du First Canadian Parachute Batallion de la 6ᵉ Airborne, le commando d’élite le plus hautement spécialisé de l’Armée canadienne.
Au cimetière, Yves-Marie Rivemale, maire, entouré, de gauche à droite, de Jeff Sakula, Pierrette Latulipe, Nicole Tremblay et Jean-Louis Lamontagne.
Dans la nuit précédant le débarquement du 6 juin 1944, il était largué à l’est de Varaville, et atterrissait par erreur dans les basses terres de la Dives inondées par les Allemands. Par chance, il fut sauvé de la noyade et recueilli par des fermiers de Sallenelles, les époux Vermughen, avec vingt-deux autres Canadiens. Hector Sylvestre fut parmi ceux qui rejoignirent la Résistance. Infiltrant les lignes arrière de l’occupant, il multiplia renseignements et sabotages, refluant jusqu’à Breteuil-sur-Iton. Là, les hommes du réseau « Quand même » le prirent en charge, et tous se réfugièrent à la Grand-Maison de Longuelune, sur le territoire de Piseux, puis, dans la foulée, le 16 août, chez le marbrier vernolien Mahieu.
Le lendemain, les Allemands, sans que l’on sache de quelle manière ils avaient retrouvé la piste des clandestins [peut-être leurs vélos mal dissimulés], appréhendaient, torturaient et passaient par les armes les six hommes, derrière la mairie qui servait alors de Kommandantur.
Six jours plus tard, la ville était libérée. Quelques heures auparavant, un passant découvrant une chaussure émergeant de la terre fraîchement remuée permettait d’exhumer les corps de Hector Sylvestre, André Chasles, Jean Pothin, Marius Bazile et des frères Girard, Jacques et Bernard.
Entre Pierrette Latulipe et Nicole Tremblay, Yves-Marie Rivemale, le maire, dépose la gerbe du souvenir.

Aidé des deux nièces d’Hector Sylvestre, Pierrette Latulipe et Nicole Tremblay, le maire déposa une gerbe, imité bientôt par Nicole Boucher qui, elle, offrit, au nom d’Adbstar, un bouquet au pied de la sépulture.
Dans le parc de la mairie, les délégations devant la Stèle des Fusillés.

La délégation, à laquelle s’étaient joints aussi les membres d’Adbstar, Fabien Perucca, président, Marie Perucca, Catherine et Thierry Delporte, Michèle et Jean-Pierre Thouin, Anne Belzeaux et sa mère, Charles Khérian ainsi que les compagnons des deux nièces d’Hector Sylvestre, Jeff Sakula et Jean-Louis Lamontagne, se rendit ensuite au parc de l’hôtel de ville où est érigée la stèle commémorative de cet épisode tragique de la libération de la ville, et y déposa une nouvelle gerbe de fleurs par l’intermédiaire d’Annie Depresle.
À côté de la Stèle, le maire Yves-Marie Rivemale et son adjointe, Annie Depresle, entourant Pierrette Latulipe et Nicole Tremblay, nièces d'Hector Sylvestre.

Dans le hall de la salle des fêtes, tous les participants à cette émouvante cérémonie présentèrent le livre d’or municipal que signèrent le président Perucca, Pierrette et Nicole, les deux nièces d’Hector Sylvestre, le héros venu, au prix de sa vie, nous aider à retrouver notre chère liberté.

 

Samedi 16 août
À la recherche de ses racines
Casquette vissée sur la tête, guitare en bandoulière qu’il gratte avec la frénésie provoquée par une démangeaison musicale, Simon Goldin prend assaut de la scène sans crier gare. Le public embarqué, il démarre aussitôt son itinéraire transatlantique qu’il ponctue de sa voix claire. Vocalises, onomatopées, bruits familiers et réflexions sautant d’une rive à l’autre apprivoisent l’auditoire. Les quartiers de la place Saint-Henri quittent les rives du Saint-Laurent pour voisiner avec ceux de l’Avre. Il commente son parcours avec une outrecuidance de bon aloi. Rires et sourires servent de GPS.
Régis Nesti à la contrebasse et le pétillant Simon Goldin.
Le public se laisse bercer à ce roulis qui, de vague en vague, l’invite à oublier le trajet, sans perdre ni le rythme ni la cadence. Près de lui, le dominant de la tête, Régis Nesti l’accompagne à la contrebasse, et le duo surprend et dépayse. Ça a la fraîcheur neigeuse du Québec et la chaleur des rues de Montréal. Le tout arrosé de gouttes natives de Lorraine d’où son père fut originaire, avant de franchir l’Atlantique et gagner Montréal où est né Simon. Ce dernier, aujourd’hui installé à Besançon, totalement débridé, n’a rien perdu de ses doubles racines pour le grand plaisir de son public.

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 La planète Brassens
L’an dernier, le Québécois Claud Michaud avait fait un triomphe au quatrième festival de la Vache et du Caribou, en célébrant, dans un hommage hautement apprécié, l’immense Félix Leclerc, son petit bonheur et ses souliers.
Samedi, sur la scène de la salle des fêtes de Verneuil, il a succédé à Simon Goldin pour rendre hommage, cette fois, à une autre pointure internationale, l’irremplaçable Georges Brassens.
Avec sa silhouette imposante et élégante à la fois, sa chevelure noire et bouclée, s’appuyant sur sa belle voix, et entouré de deux musiciens hors de pair, François Rousseau à la guitare et Guillaume Bouchard à la contrebasse, Claud Michaud a servi de guide pour redécouvrir la planète Brassens. Un délice.
Dès les premières notes des Copains d’abord, véritables clés du royaume Brassens, le public est conquis. En bon fils, il choisit avec précision les chansons qu’il a décidé d’interpréter parmi les cinq cents que l’enfant de Sète a composées et qu’il présentait en primeur à ses copains, dont le bon René Fallet qui, pendant plusieurs années, tint une rubrique musclée dans les colonnes du Canard Enchaîné. En l’écoutant chanter de sa voix grave les joyaux extraits des albums qui resteront des exemples dans l’histoire de la langue française, on ne peut s’empêcher de penser aux débuts d’un certain Brassens, dans les années 1952-1953, chez Patachou, avouant sa Mauvaise réputation. On pense Au petit cheval de Paul Fort, cet animal non adulé des tiercés et qui accomplissait sa rude tâche à l’unisson avec son maître. Piochant dans cette manne qui accompagna en les réjouissant les femmes et les hommes de cette époque, on écoute avec une pointe de nostalgie Corne d’auroch, chanson de représailles écrite avec malice, et chantée pour la première fois la bouche fermée. Et puis, bien sûr, l’inévitable Chanson pour l’Auvergnat. D’autres chefs-d’œuvre, tels l’inoubliable Prière de Francis Jammes, L’Orage qui le faisait grincer des dents, Dans l’eau de la claire fontaine où l’amour le fait devenir galant couturier.
Sans perdre le fil de son récital, Claud Michaud présenta, pour rester aussi dans l’esprit Brassens, un célèbre poème du vieux paillard, l’abbé de Lattaignant (1697-1779), poète libertin et auteur de huit couplets de J’ai du bon tabac : Le Mot et la Chose.
Empruntant à Jean Ferrat le portrait chanté que celui-ci fit de Brassens, l’artiste, sous les applaudissements nourris, remporta un bien joli succès.
Personnellement, cette soirée parfaitement réussie ne m’a valu qu’un regret : celui de ne pas avoir eu le plaisir d’applaudir, en cette année du centenaire, La Guerre de 14-18 que Brassens, de son œil malicieux, replaçait si bien dans ses rêves pacifistes.
Guillaume Bouchard et François Rousseau entourant Claud Michaud.
Claud Michaud.

 

vendredi 15 août
Quand le jazz est là
L’an dernier, les amis de Raymond Fonsèque – le célèbre tromboniste qui, aux côtés des plus grands jazzmen des années d’après-guerre, triomphait à Saint-Germain-des-Prés – avaient séduit les Vernoliens venus en nombre à l’abbaye Saint-Nicolas pour un concert dixieland remarquable et avaient promis de revenir. Vendredi 15 août, à la salle des fêtes, la promesse fut tenue. Francine Fonsèque au tuba et cinq de ses acolytes représentant le Jazz Club de France étaient là et offrirent une pure soirée jazz.
Marcel Bornstein – le trompettiste préféré de Sidney Bechet – qui, à quatre-vingt-trois ans, rentrait d’une croisière effectuée à Saint-Pétersbourg, démontra tout son talent et sa virtuosité intacts, moissonnant les applaudissements nourris des spectateurs qu’on aurait souhaités plus nombreux. Ses compagnons, Philippe Gibrat, adepte du trombone, Michel Mardiguian à la clarinette étonnante, Jean-Bernard Leroy à la batterie et Yves Swartenbroekx au banjo, ont fait preuve d’habileté experte, tant pour le rythme que pour le choix des mélodies d’anthologie.
Tour à tour défilèrent les morceaux de bravoure. On ressuscita le grand Duke Ellington, l’immense Louis Armstrong, on passa des Roses de Picardie à Petite fleur et pour conclure à l’inoubliable Oh when the Saints.
À cette soirée empreinte de nostalgie et évocatrice d’une époque riche, reflétant la joie et la liberté retrouvées, on notait les réconfortantes présences du maire Yves-Marie Rivemale, Alain Petitbon, président de la Communauté de communes du Pays de Verneuil, Christian Perron, ancien maire, et Fabien Perucca la cheville ouvrière de ce festival, sans oublier les membres canadiens de la famille du regretté Hector Sylvestre, mort en héros, fusillé par les Allemands le 17 août 1944, au fond du parc de la mairie, avec cinq camarades résistants.
Le sextuor du Jazz Club de France avec, à gauche, Francine Fonsèque au tuba (photo Nicole Boucher).
Christian Perron, Yves-Marie Rivemale et Fabien Perucca ont apprécié l'enthousiasme des musiciens (photo Nicole Boucher).


mercredi 6 août
Le labyrinthe de la poésie
Deux après-midi de suite, les mardi 5 et mercredi 6 août, à Tourouvre, au musée de l’émigration française au Canada tout d’abord, puis à la bibliothèque Jérôme-Carcopino de Verneuil-sur-Avre ensuite, se sont tenues deux rencontres littéraires avec trois poètes québecois. Deux séances ayant le même but, découvrir la sensibilité poétique de nos cousins d’outre-Atlantique, et pourtant deux rendez-vous totalement différents par leur itinéraire.
écrivaine, poétesse et directrice des éditions de l’Hexagone à Montréal, Danielle Fournier, qui avait participé au récital de Lisette Tardy et Hugues Cloutier, samedi soir, et ses deux amis Marie Bélisle et Jean-Philippe Gagnon, sont allés à la rencontre du public en présentant quelques-unes de leurs œuvres.
Fille de trappeur et d’une femme issue d’une famille de dix-neuf enfants, Danielle Fournier n’a rien perdu de sa jeunesse bercée par la nature et « jusqu’au bout de la nuit. Jusqu’au bout la nuit » elle va suivre « l’obscurité dans les yeux fermés, derrière les paupières, un désir impatient ».
Textes poétiques, intimistes, ouverts sur l’introspection, elle va jusqu’au bout d’elle-même, « jusqu’au désordre, jusqu’à l’absence ».
Marie Bélisle, québécoise devenue parisienne, est une admiratrice inconditionnelle de Marguerite Duras. Mais sa communicabilité spontanée, gestuelle, soulignée par un sourire expressif, entraîne son auditoire vers des textes saupoudrés de poésie où se cachent de nombreux alexandrins. Volontiers, elle se glisse dans la chair d’un objet, d’un livre, et interroge l’utilisateur ou le lecteur. Partant d’un vieux cliché déniché dans une brocante, elle reconstruit, selon son désir, la vie de ce personnage en lui attribuant un prénom, élisabeth ou Barbara. Et c’est cette dernière qui l’entraîne dans les méandres de son existence pensée par l’auteur.
Quant à Jean-Philippe Gagnon, poète sensible lui aussi, il délaisse la voie classique pour ne garder que les rencontres fortuites, comme celle de la vision d’une statue aperçue dans une vitrine, et l’importance de cette Minerve qui chamboulera sa vie.
Ces deux rencontres séparées par une frontière départementale ont pris des chemins différents. Mais un point commun les a rassemblées. Dans les deux cas, les femmes étaient en large majorité. Faut-il en déduire que la gent féminine s’interroge davantage sur ce rêve ouvert et qui fait défaut de plus en plus à la société actuelle ?
Mme Danielle Fournier, le 6 août à Verneuil (photo J.P. Thouin).
Mme Marie Bélisle, le 6 août à Verneuil (photo J.P. Thouin).
M. Jean-Philippe Gagnon, le 6 août à Verneuil (photo J.P. Thouin).



dimanche 3 août
Incompréhension et violence intimiste
Premier film projeté au cours de ce festival de la Vache et du Caribou, J’ai tué ma mère, du jeune prodige québécois Xavier Dolan, a été présenté, dimanche soir, au cinéma Le Trianon. Cette œuvre réalisée par un garçon bercé par le cinéma et les films publicitaires, tout juste sorti de l’adolescence (il est né le 20 mars 1989), est révélateur d’une société qui, étourdie par les fulgurants progrès techniques non dominés, se noie dans le monde sans boussole où la communication, non maîtrisée elle non plus, est essentiellement virtuelle et abondante.
Hubert, dix-sept ans, au sein d’une famille à la dérive, séparée, navigue à l’aveugle dans cette vie où Chantal, sa mère, est la seule à tenter de sauver l’essentiel, en se négligeant. Le père a de longue date quitté le foyer, abandonnant ses responsabilités. Et lorsque son épouse psychologiquement et physiquement épuisée lui demande son soutien, le père revient et tranche sèchement pour l’avenir, arrivant de plein front face à l’enfant qui se cherche. Depuis longtemps déjà la haine s’est immiscée entre Hubert et Chantal, et les paroles échangées, loin d’être des mots d’amour, ont la violence des pierres jetées au visage. Hubert recherche plutôt la compagnie d’Antonin, un camarade de classe qui, lui, vit dans une famille aisée où la maman mène une vie libertine et sans contrainte. Les deux garçons sont amenés à se rejoindre dans l’homosexualité.
Connue de la maman d’Antonin, ignorée de Chantal, cette situation chaotique rejette Hubert dans les souvenirs de son enfance heureuse auprès de sa mère qu’il adorait, comme tous les enfants du monde vénèrent leur génitrice, ou bien le renvoie à ses colères chargées de haine contre celle qui lui a donné le jour.
Dans ce très intéressant film, qui alimenta longuement les conversations, dimanche soir, à la sortie de la séance, il faut noter la magnifique interprétation d’Anne Dorval dans le rôle de Chantal.
Ce film dur, sans indulgence, tourné par un enfant de vingt ans, fut primé en 2009 au festival de Cannes par la Quinzaine des Réalisateurs et obtint au travers de divers festivals quatre prix et fut neuf fois nominé.

*

Peinture, musique et poésie

La touche colorée du tableau,
La touche sonore du piano,
Et la touche des mots
Répondant en échos.

Le public conquis,
En extase, ravi,
En silence, a suivi
Ce joli temps exquis.

Et l’artiste qui pense
Mesure l’existence
Qui s’enfuit et s’élance
Semblable au pas de danse.

Avant moi le néant,
Après moi le néant,
Au centre de ces océans,
Un instant de répit,
Une larme : la vie.

R.M.
 (à propos de l’exposition et de la soirée du 2 août)

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Inspiration et réalisations
Jusqu’au dimanche 24 août, les visiteurs de l’Espace Saint-Laurent auront eu le privilège, comme l’a eu la soixantaine d’esthètes ayant franchi le seuil de ce vénérable édifice, de découvrir et d’admirer l’œuvre de Lisette Tardy.
Parisienne depuis 1994, cette Québécoise, aux cheveux de neige et au sourire printanier, est animée par un feu intérieur alimenté par une sensibilité sans égale. Passionnée elle l’est. Et ce besoin impératif d’exprimer par la couleur ses états d’âme, ses envies et sa douleur ou, rassérénée, ses attentes et le calme recouvré, elle le partage avec talent sur la toile. Par petites touches ou petites taches, par positionnements quasi géométriques, jouant avec la lumière comme avec des étincelles de vie. C’est frais, c’est ténu, ça respire à pleins pinceaux pour déboucher sur l’espace retrouvé comme un désir d’envol. Sur les carrés imposants, elle offre une poésie visuelle qui se marie avec la musique, comme le démontra Hugues Cloutier, samedi soir, sur son piano débridé et fougueux.
Lorsqu’en 2010 Verneuil découvrit la rétrospective de l’œuvre de Lisette Tardy, la ville et ses habitants ne pouvaient pas penser que, cinq années plus tard, cette artiste reconnue à travers le monde lui réserverait la primeur d’un récital porté par les musiques de Beethoven, Mozart, Schubert, Albéniz, Scriabine, Chostakovitch, Liszt ou Mathieu judicieusement choisies et jouées de façon royale par l’émule de Jean-Paul Sévilla.
Hugues Cloutier, Lisette Tardy et Danielle Fournier, les artistes de ce récital parfaitement réussi.
Hugues Cloutier en pleine concentration.


Samedi 2 août
Les trois coups du trio
C’est parti. Jusqu’au dimanche 24 de ce mois, la ville et ses environs vont vivre au rythme du festival franco-québécois de la Vache et du Caribou. Les trois coups du départ ont été frappés, lors de l’ouverture et du vernissage, à l’Espace Saint-Laurent, de l’exposition de peinture de Lisette Tardy.
Par son talent, Lisette est une grande dame de l’art pictural. Ce petit bout de femme originaire du Québec est d’une rare puissance créatrice. De son cœur, de sa pensée, se révèle une explosion de couleurs lumineuses. Celles-ci chantent le charme et les heurts de la vie, la chair des saisons, la voix bleue du fleuve oubliant dans ses eaux ses perles de lumière. Mais aussi la puissance du désir qui anime chaque vie : « L’innommé »...
Ces couleurs jaillissant comme un feu d’artifice ou se glissant à l’orée du tableau, s’estompant pour laisser libre cours à la liberté retrouvée, apaisent le regard, offrent la paix.
Cette « puissance du désir » que propose Lisette s’accompagne de la sérénité retrouvée dans une symphonie de couleurs célébrant la vie. À chacun de découvrir cet hymne.
Vendredi en fin d’après-midi, le vernissage de La Puissance du désir à l’Espace Saint-Laurent, le doublement bien nommé, a réuni de nombreux Vernoliens. élus autour du maire Yves-Marie Rivemale, Didier Husson, conseiller municipal délégué au développement culturel, l’ancien maire Christian Perron, la cheville ouvrière du festival Fabien Perucca et sa solide équipe de dévoués membres, Bruno Leroy, président de l’office de tourisme et sa directrice, Annabelle Levrel. Et bien sûr, les trois héros de l’exposition : la rayonnante Lisette, Hugues Cloutier – le pianiste virtuose – et Danielle Fournier, la délicate poétesse québécoise. Et puis aussi des touristes de passage attirés par la paisible beauté communicative de la ville et les habitants enthousiastes et attentifs à l’activité de la cité.
Le maire, après avoir noté que le choix du mois d’août était judicieux et favorable en cette période estivale, félicita les artistes pour leur initiative lumineuse née à l’ombre de la tour Grise, les organisateurs dévoués et solidaires et Fabien Perucca pour leur inlassable générosité qui aboutit à la réussite de ce travail collectif, fruit d’une volonté enrichissante.
Hugues Cloutier, avec sa bonhomie souriante, expliqua la genèse de cette rencontre tripartite née sur les bords de l’Avre, rappelant qu’il découvrit Verneuil en 1998 où il séjourna en qualité d’élève du talentueux Jean-Paul Sévilla.
Lors du vernissage, Lisette Tardy, à droite, présente au maire Yves-Marie Rivemale et à Didier Husson, conseiller, Danielle Fournier et Hugues Cloutier, tous deux à gauche.

*

En deux mots
En titrant cette chronique ayant trait à la peinture « Les trois coups du trio », un irrésistible besoin de sourire vint nous tenter, et nous avons failli, après les deux mots « du trio », ajouter la parenthèse préventive destinée à feu le typographe : (pas d’Utrillo !). Mais le peintre montmartrois bien sûr n’avait aucun lien, si ce n’est le talent, avec nos artistes québécois. Cela aurait sans doute fait sourire l’ami Gérard Morel, jongleur de mots impénitent, qui viendra, le vendredi 22 août au soir, lors de son tour de chant, bousculer avec joie les mots de la langue française.

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Performance
Hugues Cloutier, qui aux côtés de Lisette Tardy et Danielle Fournier fut le héros, samedi soir, du récital présenté à l’Espace Saint-Laurent, a accompli une double performance. Non seulement ce virtuose du clavier a offert au public un magistral concert plein d’enthousiasme et de vie mais il a réalisé, dès le lendemain, un exploit quasi sportif. Dans la foulée, il est reparti pour Montréal où le dimanche à 16 heures, heure locale, il devait donner un concert attendu.

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Hommage
À l’issue de cet original récital, samedi soir, couvert d’applaudissements, Hugues Cloutier a rendu hommage à Jean-Paul Sévilla, son ancien maître assis au premier rang.
Le pianiste Jean-Paul Sévilla – mondialement connu comme le souligna, au travers d’anecdotes vécues, Lisette Tardy en fin de concert – est arrivé à Verneuil-sur-Avre, en 1996, pour s’installer dans une vieille demeure pleine de charme située entre la rue Thiers et la rue du Pont-aux-Chèvres, et ayant appartenu auparavant à M. Beck, ancien directeur des Forges de Bourth et ancien champion de Paris de patins à roulettes. Très vite, Jean-Paul Sévilla créa chez lui des stages de mastères classes. Et le succès grandissant de cette initiative eut des échos dans le monde entier. Au Japon, en Espagne mais aussi au Canada, où l’artiste vernolien enseigna plus de vingt-cinq ans. En 1998, Hugues Cloutier, jeune pianiste au talent prometteur, découvrit Verneuil-sur-Avre pour suivre les cours du maître. Ce qu’il fit pendant deux ans et demi. L’élève n’a rien oublié des leçons dispensées. Samedi, Hugues enthousiasma le maître, et fut heureux de souligner par sa musique la maestria picturale d’une autre grande Québécoise, Lisette Tardy, rencontrée il y a près de cinq ans à… Verneuil-sur-Avre.

Jean-Paul Sévilla, à gauche, et Hugues Cloutier, échangeant de nombreux souvenirs vernoliens et québécois, devant les toiles signées Lisette Tardy.


lundi 28 juillet
Saluons la cinquième édition
Le cinquième festival franco-québécois de Verneuil-sur-Avre lèvera son rideau le vendredi 1er août. Pendant vingt-quatre jours, il proposera un programme culturel de qualité qui, à l’instar des quatre précédents, fera appel à des talents québécois et normands, canadiens et français, pour épicer ces trois semaines d’amitié et de partage.
D’ores et déjà, on peut prendre connaissance du programme concocté par la dynamique équipe du président Fabien Perucca. Ce programme pratique, déjà distribué et illustré par Didier Ray, est coloré, riche de renseignements et reste un modèle du genre.
L’an dernier à la fin du festival, Lisette Tardy, la sympathique et talentueuse artiste peintre demeurant dans le Marais à Paris et invitée du premier festival, avait promis de revenir sur les bords de l’Avre. Elle a tenu parole, et elle nous revient avec une très grande surprise : c’est elle qui va donner les trois coups d’envoi de cet événement à la réputation nationale voire internationale. Lisette la passionnée va présenter, à l’Espace Saint-Laurent, son exposition de tableaux intitulée « La Puissance du désir », une création poétique québécoise remarquable, à ne pas manquer.
Le 11 juin dernier, à l’Espace Insolite de Paris, rue du faubourg-Poissonnière, l’artiste avait présenté en avant-première cette magnifique exposition encadrée d’une soirée culturelle d’envergure, avec la participation du pianiste canadien Hugues Cloutier, ami de longue date de Jean-Paul Sévilla, et celle de Danielle Fournier, écrivaine et poétesse, directrice littéraire des Éditions de l’Hexagone à Montréal. C’est par la réplique de cette soirée que Lisette Tardy ouvrira le festival de la Vache et du Caribou.
L’exposition La Puissance du désir débutera dès le vendredi 1er août et sera visible jusqu’à la fin du festival. Son vernissage est prévu vendredi en fin d’après midi. C’est le lendemain, le samedi 2 août à 21 heures, toujours à l’Espace Saint-Laurent, que sera présenté le récital de piano et de poésie avec Hugues Cloutier, Danielle Fournier et bien sûr Lisette Tardy, avec ses remarquables tableaux où lumières, sentiments et pulsions libres explosent en feux d’artifice.
Didier Husson, délégué au développement culturel de la mairie de Verneuil en compagnie, à droite, du pianiste Hugues Cloutier.
 
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Cousins…
Le retour de ce festival, cinquième du nom, évoque à lui seul la solidité du lien reliant la vieille et la Nouvelle-France. Et brusquement me revient en mémoire le très joli poème-chanson de notre talentueux voisin Bernard Joyet de Francheville, auteur d’un recueil grandiose, Autodidacte, duquel est extrait ce beau poème :

Entre Saint-Gilles et Montréal

Le soleil éteint l’océan.
Je sais que chez toi il l’enflamme.
Mon regard comme un télégramme
Franchit le ciel en un instant.
Si tu lances le tien vers l’est
Quand je jette le mien vers l’ouest,
Avec juste un zeste de chance,
Entre Vieille et Nouvelle France,
Entre Saint-Gilles et Montréal,
Ils vont se toucher c’est fatal,
Nos regards, le tien et le mien,
Entre mon soir et ton matin.

J’ai des rêves de papillon.
Je voudrais t’apporter ma lettre.
Comme il se cogne à la fenêtre,
Sur la plage je tourne en rond.
Comme lui je veux traverser
Cette vitre de flots glacés,
Comme lui je fourvoie mes ailes
Dans la nébuleuse aquarelle.
Ce n’est qu’un peu de larme à l’eau,
De Biscarosse à Saint-Malo,
Quelques gouttes d’encre perdue
Sur un parchemin sans issue.

Avant que monte la marée,
J’enroule quelques mots de sable,
Au creux d’une feuille d’érable.
La vague va s’en emparer
Et si tout va bien le courant
Poussera jusqu’au Saint-Laurent
Et disposera sur la rive
Scrupuleusement ma missive
Très précisément recopiée
Devant chez toi juste à tes pieds
Entre Sorel et Bécancour
Après un fabuleux parcours.

Surtout cher cousin n’oublie pas,
Là-bas dans ta belle province,
Il est des reines et des princes
Qu’il faudra saluer pour moi
Car tous les peuples ne font qu’un
Abénaquis et Algonquins.
Un hôte est celui qui invite
Micmacs, Neskapis, Malécites,
Un hôte est aussi l’invité,
Mohawks, Inuits et Montagnais,
Attikameks, Hurons et Cris.
Rien n’est à nous et je t’écris.

 À droite, à la guitare, Bernard Joyet, en compagnie de Gérard Morel, chanteur humoriste qui sera l’invité du festival, le vendredi 22 août, au Silo, à 21 heures.



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